TNT du 8 au 12 mars 2006

Une Virée

de Aziz Chouaki

Mise en scène Jean-Louis Martinelli

 

Trois hommes sur un plateau, gris quasi nu. Trois jeunes, paumés, désœuvrés, qui «tiennent les murs» en bas de la cité, sans futur, sans avenir, à part celui, tout proche, de la soirée qui s’annonce. Une soirée comme un voyage au bout de nulle part, à grands coups de mauvaise bière, de cachetons et de fumette. Le kif, quand on n’a rien à perdre, c’est de se laisser porter: on pique un larfeuille, on vole une caisse et on roule jusqu’au bout de la mer. Mais sur la plage à l’arrivée, c’est pas «coquillages et crustacés». Le drame attend son heure, point d’orgue.

D’ici là, les histoires se voient et s’écoutent, dans la bouche de ces lascars qui se font leur cinéma: paroles et musique, ça tchatche dans le texte, ça slame, ça jazze, ça rappe, ça créolise, ça invente, ça entrechoque, choque, ça éructe et ça fabule. Syncopée, rythmée, déponctuée, rompue, puis rattrapée au vol, la langue d’Aziz Chouaki ricoche, ping-pongue entre ces hommes, entre eux et leurs fantômes, la belle Nedjma, Djaffar Clinton, Tonton Bouzid, qui portent, comme un virus en boutonnière, l’histoire chaotique de leur pays.

Alger la blanche, sous ses faux airs de Marseille, de Toulouse ou d’ailleurs, le soleil, le foot, les filles, le quartier. Alger la noire, avec ses désespoirs, chômage, misère, et ses peurs, GIA, FIS, barbus de tous poils que Chouaki connaît bien, exilé qu’il est en terre de France depuis 1991. Il continue d’écrire un pays qui est le sien mais qui est le nôtre, des Oranges à l’Étoile d’Alger. De ses conversations avec Jean-Louis Martinelli est née cette Virée, mise en scène violente, à bout de souffle et sans couleur locale, où perce néanmoins sous les pavés un espoir qui refuse de s’éteindre.