Théâtre Sorano du 7 mars au 1er avril 2006

Le Bourgeois Gentilhomme

de Molière

Mise en scène Didier Carette et Maris-Christine Colomb

Groupe Ex-abrupto

 

Somptuosité des formes, profusion des personnages, verve de l'écriture : pour déclencher les rires, Molière ne lésina sur rien. Tout en égratignant, car il truffait ses farces de piquants.

 

Ô l'étrange chose que d'avoir affaire à des bêtes !

Le chemin de M. Jourdain est jalonné de bourdes historiques : Non, je ne veux ni prose ni vers... et de pertes de moyens abyssales : Madame, ce m'est une gloire bien grande de me voir assez fortuné pour être si heureux que d'avoir le bonheur... Inutile d'en rajouter : ridicule hypertrophié, voilà le Bourgeois dessiné à grands traits. Et si nous écoutions mieux sa voix dans la cacophonie ? Lorsque je hante la noblesse, je fais paraître mon jugement ; et cela est plus beau que de hanter votre bourgeoisie... S'il nous en disait un peu plus long sur lui ? J'enrage que mon père et ma mère ne m'aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences, quand j'étais jeune... Si nous observions de biais ses qualités ? Bienveillant, généreux, curieux, indépendant, prenant la vie du bon côté... un mari idéal, sauf pour son épouse, Mme Bon Sens. Et les autres ? Mesquins, méprisants, moralisateurs, petits, intéressés, formatés. Des rabat-joie, dans le meilleur des cas, bien ancrés à leur réalité.

Un rêve d'archipels, de vagues perpétuelles, sismisques et sensuelles*...

Je suis bilieux comme tous les diables ; et il n'y a de morale qui tienne... Pathétique, obstiné, humain, M. Jourdain va de l'avant. Pour ne pas sombrer, il brave le courant, s'accroche aux branches, affronte la falaise. Il rêve de couper les amarerres, il se voit goéland. Unique et attachant parce qu'il n'a pas peur du ridicule, justement.

Ecouter ce qui sort de soi, étonné d'en savoir soudain si long**

Oublier les évidences, briser les monolithes. Donner la scène à la multiplicité. Voir une chose, entendre le contraire. Souffler les conventions, allumer la farce à l'électricité. Pour la première fois dans le théâtre d'Ex-abrupto, des masques donnent du relief aux visages. Se moquant du temps, devançant les mots, ils révèlent à bout portant le tréfonds, le vital. Amplifiées, mises à nu, les émotions sont là. La comédie humaine avance en polyphonie. Les réparties s'envolent. L'ironie s'échappe, le grotesque la rattrape. Derrière les masques, confusion, curauté mais aussi tendresse et fantaisie.

Le coeur toute l'année comme un rosier fleuri, emporté par son grain de folie, M. Jourdain se précipite droit devant. Ses extravagances vont à l'apogée, en crescendo du rêve sur la réalité;

* D'après Alain Bashung et ** Julien Gracq.