TNT du 7 au 19 février 2006

Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

de Imre Kertész

Jean-Quentin CHATELAIN / Joël JOUANNEAU

 

«Aurais-tu été une petite fille aux yeux sombres?
le nez couvert de pâles tâches de rousseur?
ou bien un garçon têtu?
avec des yeux joyeux et durs
comme des cailloux gris-bleu?»

Dans la religion juive, le kaddish est la prière des morts. Adressé à un être qui ne viendra pas au monde, la prière d’Imre Kertész s’apparente à un paradoxe absolu, creusé à coups de mots comme, depuis tant d’années, il «creuse (sa) tombe dans les nuages». Cette plainte est née dans un cri une nuit où l’homme a entendu son corps hurler «Non!», «cette nuit, qui en restant obscure, éclairait tout». Un «non» qui résonnait comme une interdiction: celle de donner la vie, d’être le destin, la responsabilité d’un autre être humain. Et cette décision —«cette décision que je n’ai pas prise, que je n’ai pas pu prendre, qu’on a prise pour moi»— est aussi irrévocable que sont ineffaçables de son souvenir les camps de concentration nazis.

Déporté à l’âge de quinze ans vers le camp d’Auschwitz-Birkenau puis vers celui de Buchenwald, Imre Kertész fera de l’écriture une condition de survie. Il examine à travers ses œuvres cette expérience concentrationnaire indélébile: «Quand je pense à un nouveau roman, je pense toujours à Auschwitz», écrit-il. Auschwitz ne constitue pas à ses yeux un cas d’exception, étranger à l’histoire «normale» du monde occidental, mais bien l’illustration de la dégradation de l’homme moderne. Être sans destin, Le Refus, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas interrogent avec acharnement cet «épisode» comme on interroge un mal que, «si!», on peut expliquer. En décembre 2002, Imre Kertész a reçu le Prix Nobel de littérature,pour cette œuvre «qui dresse l’expérience fragile de l’individu contre l’arbitraire barbare de l’histoire».

C’est la certitude d’être en présence d’un «texte immense» qui a conduit Joël Jouanneau à cette adaptation. Soucieux de restituer toute la puissance et la musicalité de ce texte, il propose une mise en scène d’une troublante sobriété: dans un décor presque nu, fait d’une table, de quelques chaises et d’un mur noir, surgit la présence noueuse de Jean-Quentin Châtelain, qui emprunte les méandres de ce long monologue et fait parvenir jusqu’à nous cette oraison funèbre.