TNT du 12 au 19 janvier 2006

La Rose et la hache

W. Shakespeare / Carmelo Bene/

Mise en scène: Georges Lavaudant

 

Maudit parmi les maudits, Richard III est une figure royale obscure, sanguinaire et fascinante, devenue mythique sous l’encre de William Shakespeare. Accablé par l’injustice d’être né laid et bossu, le duc de Gloucester vécut animé d’un seul désir, la vengeance, d’un seul souhait, l’omnipotence. Lorsqu’il eut conquis le trône, n’omettant ni meurtres ni viols, il régna en tyran, semant encore autour de lui la terreur et la désolation. Ce personnage monstrueux et terriblement humain n’eut de cesse d’étendre son empire sur les imaginations. Les transpositions, à la scène et à l’écran, furent innombrables.

Propice à tous les outrages, une figure aussi démesurée ne pouvait manquer d’attirer Carmelo Bene. À la fois romancier, dramaturge, cinéaste, acteur et metteur en scène, cet enfant terrible de l’Italie, proche d’un Pasolini, aborda tous les genres dans un esprit violemment critique. Génial et provocateur, il entreprit de modifier profondément la façon de voir et de concevoir le théâtre, renouvelant les rapports entre texte et représentation, subvertissant la scène et le réel, la voix et l’image. Tentant de poursuivre le mouvement initié par son maître, Antonin Artaud, s’appliquant à l’«écartèlement du langage et du sens dans la désécriture scénique», Carmelo Bene montait moins des pièces qu’il ne les démontait, écorchant le texte jusqu’à le mettre à vif. Cet ogre moderne, figure de l’avant-garde italienne et de la modernité théâtrale européenne, se confronta souvent au répertoire shakespearien – et le déchiqueta amoureusement.Au terme d’une radicale opération de re(dé)construction de l’œuvre de Shakespeare, naquit ainsi Richard III ou l’horrible nuit d’un homme de guerre.

Quand cet «essai-critique» paraît en France, Georges Lavaudant, saisi par la puissance transgressive de cet artiste hors norme, se lance dans un projet d’adaptation qu’il baptise La Rose et la hache. Après seulement trois semaines de répétitions, le spectacle est créé le 14 décembre 1979. Ne sont alors données que dix-sept représentations. Quinze ans plus tard, Georges Lavaudant décide de réinventer un spectacle inspiré de celui de 1979. Il a donc convaincu Ariel Garcia-Valdès, compagnon de la première aventure et légendaire Richard III depuis le festival d’Avignon de 1984, de remonter sur scène pour reprendre le rôle de l’immortel souverain difforme. Ces retrouvailles sont à la fois l’ultime rencontre d’un rôle et d’un interprète et un hommage à Carmelo Bene, maître et ami disparu en 2002, dont Lavaudant disait qu’il donnait «la force d’oser».